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Venez retrouver vos héros à travers une sélection de scènes bonus inédites issues du tome 2 : Salamoéna, le Pouvoir Suprême 

I-Retour de guerre

 

Références (format broché) :

Partie II - Chapitre 3

Page 237, début de chapitre.

 

Séléna, Alissa, Enendel et Erenor sont rentrés de la Forteresse de Blovor, où ils ont combattu aux côtés de l’Armée d’Hesmon. Ils ont repris une vie étudiante plus ou moins normale.

 

La taverne de la Rose d’Irive, fief de la corporation de duels Dragon d’Edselor, était noire de monde ce soir-là. Agatta et Emeric, codirecteurs de la congrégation, avaient invité une bonne partie de l’université.

Les étudiants ne fêtaient rien de particulier hormis une tentative de retour à la vie normale. Depuis le début des combats, et tout particulièrement depuis la défaite de Blovor, l’ambiance générale n’était plus à la fête.

Agatta avait pensé qu’une soirée étudiante riche en spectacles – Glorane et sa petite sœur, Fiara, avaient toutes deux proposé de s’affronter en duel –, en musique et en boissons pourrait détendre l’atmosphère. Elle ne s’était pas trompée. Il régnait une ambiance endiablée au sein de la taverne, privatisée pour l’occasion. La musique dont le son avait été amplifié à l’aide de potions et le brouhaha ambiant étaient d’ailleurs si forts, qu’Alissa en avait la tête douloureuse.

Assise à une table reculée, elle était l’une des rares étudiantes à ne pas apprécier l’euphorie de la fête. C’était Séléna qui l’avait encouragée à venir, pensant qu’un peu de légèreté ne pourrait pas lui faire de mal, mais elle le regrettait. Elle n’avait qu’une envie : retrouver la sérénité du manoir de ses parents.

– Tout va bien, Alissa ?

Marta, une grande fille rousse, codirectrice de la corporation d’Alchimie – dont elle faisait elle-même partie – s’installa à côté d’elle. Une lueur d’inquiétude brûlait dans ses yeux clairs.

– Oui, je vais bien.

Marta lui lança un regard dubitatif. Alissa, quelque peu gênée, baissa instinctivement les yeux.

— Alissa, je vois bien que tu es triste. Tu voudrais que Kerian soit là, n’est-ce pas ?

Oui, elle ne souhaitait que cela mais elle ne l’avouerait jamais à personne, pas même à Séléna, sa meilleure amie.

Ses copines ne cessaient de la taquiner au sujet de Kerian, or il n’y avait absolument rien entre eux. Alissa le voyait plutôt comme un confident et un protecteur. Sans lui, elle serait probablement morte sur le champ de bataille. Contrairement à Enendel, Erenor ou Séléna, Alissa n’avait aucune compétence martiale.

Après les combats, Kerian l’avait aidée à apaiser ses craintes. En guerre, la jeune fille avait assisté à une boucherie sans nom et à des massacres en tous genres. Pire, encore, elle avait tué et pas seulement des hommes-bêtes de Morner. Une femme des Terres de Glace, tout juste sortie de l’adolescence, avait été transpercée par la lame de son épée. C’était peut-être sa seule victime humaine mais jamais Alissa ne pourrait oublier son dernier cri, ni son regard empli de détresse lorsque la vie s’était échappée de corps.

À l’inverse de Séléna, qui avait avant tout combattu pour l’honneur de sa famille et ne regrettait rien – si ce n’est la défaite –, Kerian comprenait parfaitement ce qu’elle avait pu ressentir. Ses premiers combats lui avaient procuré le même sentiment d’horreur.

La famille de Kerian avait beau baigner dans le domaine militaire – tant les femmes que les hommes –, il avait toujours été pacifique. Il s’était engagé dans l’Armée pour perpétuer la tradition familiale mais ses débuts avaient été très difficiles. Son premier mort était un jeune bandit d’une quinzaine d’années. Il avait mis plusieurs mois à s’en remettre.

— La mort est omniprésente lors d’une bataille, avait-il expliqué à Alissa, tu as tué pour survivre. Certes, c’est terrible, mais si tu n’avais pas porté le coup de grâce en premier, tu serais morte à la place des ennemis. Tu n’as rien à te reprocher. Ton malaise va passer, je te le promets.   

Des larmes montèrent aux yeux d’Alissa mais elle se força à les retenir. Comme si cela n’était pas suffisant, elle s’inquiétait sans cesse pour Hugues et Gerremi. Ils n’avaient pas réussi à les sauver des prisons d’Iris et elle ignorait ce qu’ils devenaient.

Marta, qui avait senti sa détresse, lui prit gentiment la main.

— Viens avec moi, Alissa. Fiara et Glorane vont bientôt combattre. Les deux sœurs Assala et probablement les meilleures duellistes d’Edselor qui se défient en duel… cela promet d’être passionnant. Je pense que Séléna est déjà descendue dans l’arène.

Elle désigna d’un signe de tête la marée étudiante qui se précipitait vers le fond de l’auberge, où un escalier en colimaçon menait à une arène souterraine.

Alissa n’avait aucune envie de rejoindre ses camarades mais elle s’abstint de le faire savoir à Marta.

— Sincèrement, je pense que Fiara va avoir la victoire, poursuivit la jeune femme, elle a beaucoup de talent. J’adore Glorane mais je pense que les pouvoirs de sa sœur sont plus percutants. Je ne serais guère étonnée qu’elle devienne duelliste professionnelle, même si son souhait est avant tout de s’orienter vers la magie défensive. Quoi qu’en dise Enendel, je pense qu’elle a bien fait de devenir la disciple du Seigneur Baroc. Il va très bien la former.

Alissa, mal à l’aise, ne sut quoi répondre. L’an passé, Enendel et Fiara s’étaient séparés à cause du Magastel de la jeune femme. Si son ami prétendait avoir oublié cette déception amoureuse, elle savait qu’il n’en était rien. Leur rupture lui laissait toujours une note d’amertume au fond de la gorge, à tel point qu’il avait refusé de se joindre à eux pour la soirée.

— Glorane a trouvé vers quoi elle voulait s’orienter ? demanda Alissa, pour changer de sujet de conversation.

— Elle voudrait travailler comme entraîneuse dans une Guilde spécialisée dans les duels Dragon. Tu connais la chance légendaire de Glorane… Cheena Mersat, la meilleure amie de sa cousine, travaille dans un établissement comme celui-ci, à Ornégat. Elle s’occupe de créer des décors pour leurs spectacles à l’aide de potions d’illusion. Elle a réussi à négocier avec la directrice de la Guilde pour qu’elle prenne Glorane à l’essai.

Cette nouvelle fit naître un léger sourire sur le visage d’Alissa, le premier depuis qu’elle avait posé les pieds dans l’auberge.

— Glorane va déménager à Ornégat l’année prochaine, après avoir obtenu son diplôme de fin d’études, poursuivit Marta, elle m’a dit qu’elle logerait chez sa cousine. Son Maître va la suivre, il a de la famille là-bas.

— Je suis contente pour elle…

Alissa se tut au beau milieu de sa phrase. Ses yeux s’arrondirent de surprise et son cœur se mit à battre à cent à l’heure. Kerian venait de pénétrer dans l’auberge.

Son port militaire, son pas empli d’assurance et sa beauté virile attirèrent immédiatement tous les regards féminins.

Lorsque les yeux turquoise de Kerian croisèrent ceux d’Alissa, la jeune fille crut que son cœur allait cesser de battre. Plus encore lorsqu’il lui adressa un sourire.

— C’est le fameux Kerian ? s’étonna Marta, je croyais qu’il devait passer la soirée avec un ami ?

— Je le croyais également… balbutia Alissa.

— Il est à tomber par terre, toutes mes félicitations, Alissa. 

— Mais nous ne sommes pas en couple !

Pour toute réponse, son amie fut prise d’un violent fou-rire.

— Mais qu’est-ce que tu attends ? Tu as vu cet homme ? Toutes les filles n’ont d’yeux que pour lui, si tu ne l’attrapes pas, elles ne vont pas s’en priver.

Elle avait malheureusement raison. Un groupe de filles essayait déjà d’entrer en discussion avec Kerian.

Une pointe de jalousie transperça Alissa. Elle prit une profonde inspiration pour se donner du courage puis, après avoir échangé un dernier regard entendu avec Marta, elle se hâta de rejoindre son ami. Celui-ci délaissa aussitôt ses admiratrices et la salua d’une étreinte chaleureuse, qui fit naître un étrange incendie au plus profond de son cœur.

II- Saveurs romantiques

 

Références (livre papier):

Partie II - Chapitre 7

Page 301, ligne 1

 

Les cinq Dragons Suprêmes séjournent dans la Cité de Néorme depuis près de deux mois pour apprendre à maîtriser Salamoéna, le seul et unique pouvoir capable de défaire Morner.

 

Hugues et Gerremi arrivèrent à l’entrée du quartier d’Irvesil aux alentours de sept heures du soir. De tous les districts de Néorme, c’était sans conteste le plus extravagant.

Situé en bas d’une colline abritant les ménages aisés, Irvesil était une forêt de sequoias parsemée de huttes en bois. Chaque cabane était reliée à un arbre et permettait, par un astucieux système de téléportation magique, de monter en haut des arbres où les néormiens avaient construit des maisons, des tavernes, des échoppes et des ateliers artisanaux.

Lorsqu’il pénétra dans la forêt, Hugues ne put s’empêcher de pousser un cri d’émerveillement. Des centaines de lampions multicolores flottaient entre les arbres à différentes hauteurs, donnant au bois une atmosphère surnaturelle. Les sentiers menant aux huttes étaient bordés de galets qui s’illuminaient en bleu ou en violet à l’approche des passants.

Si on se tordait le cou, on pouvait apercevoir de minuscules cabanes éclairées, reliées entre elles par des ponts suspendus, à la cime des arbres.

Si, de jour, le quartier faisait la joie des artistes et des voyageurs, la nuit, il devenait un endroit festif, réputé pour la qualité de ses auberges et de ses tavernes.

Hugues n’avait pas encore eu l’occasion d’explorer cet endroit. C’était Gerremi, la veille, qui avait proposé de le lui faire visiter. Lui-même avait découvert le quartier d’Irvesil en compagnie de M. Jon, son Magastel, lorsque ce dernier l’avait emmené manger dans le célèbre restaurant Libaenün. La brasserie, tenue par deux Nâgas originaires d’Ecmual, était renommée dans toutes les Terres de Fant pour son décor de jungle luxuriante, réalisé avec soin par deux Elfes spécialistes de la magie illusionniste.

Gerremi sourit en se remémorant cette soirée qu’il avait tant redoutée. S’entraîner avec son Maître était une chose, le voir en dehors des heures d’entraînement en était une autre. Le jeune Dragon s’était longuement posé la question de savoir s’ils allaient réussir à s’entendre. À son grand soulagement, ils avaient passé un excellent moment. En dehors des cours, M. Jon était beaucoup plus avenant. Ils avaient d’ailleurs renouvelé l’expérience de sortir ensemble plusieurs fois.

Aujourd’hui, Gerremi voulait emmener Hugues dans un restaurant nommé Au bonheur d’Isi, l’un des seuls établissements du quartier d’Irvesil qu’il ne connaissait pas et que Dame Lore, leur professeur d’étude du troisième signe, leur avait chaudement recommandé à la fin de leur dernier cours.

– Tu n’as pas peur d’y aller ? demanda Hugues tout suivant son ami sur un long sentier menant à une hutte isolée, c’est tout de même Dame Lore, la mante religieuse, qui le recommande. À tous les coups, elle va nous envoyer sur son terrain de chasse. Tu imagines si on se retrouve au beau milieu de ses copines, aussi affamées qu’elle ?

Les paroles d’Hugues firent exploser Gerremi de rire mais, au fond de lui-même, il n’en menait pas large. Dame Lore, l’allumeuse, était tout à fait capable de les envoyer dans un établissement aux mœurs très légères.

 

Le portail dissimulé dans la hutte les mena sur une large plate-forme de bois reliant trois arbres entre eux par un ingénieux système de poutres enchevêtrées. Un pont suspendu, entièrement éclairé, permettait de passer à autre terrasse.

Gerremi et Hugues se frayèrent un chemin à travers la foule jusqu’à une élégante porte rouge construite dans le tronc d’un sequoia. Une enseigne placée à côté indiquait qu’il s’agissait d’un restaurant de haute gastronomie.

Gerremi jeta un bref coup d’œil à l’intérieur par une fenêtre fleurie. La salle principale était ronde, aux murs recouverts de tapisseries rouges, ornées de damas dorés. Une quinzaine de tables napées de blanc occupaient l’espace. Tout au fond de la pièce, à côté d’une armoire en bois d’ébène, le jeune homme repéra un comptoir décoré de fleurs exotiques que Naëlund – son ami qui venait des pays tropicaux du sud de la Terre des Mondes – nommait « orchidées ».

Si la moitié des tables étaient occupées par des couples, la vue de trois amies et d’un homme seul rassura quelque peu Gerremi.

– L’endroit me semble correct, lança-t-il à Hugues, je pense qu’on peut y aller sans risque.

Son ami acquiesça d’un signe de tête et le suivit à l’intérieur du restaurant. Une serveuse à l’apparence rondelette, soigneusement maquillée, s’avança immédiatement vers eux.

– Bienvenue Au bonheur d’Isi, messieurs, je me nomme Mona et je serai chargée de vous servir ce soir.

Elle les conduisit jusqu’à une table reculée, placée à côté d’un buffet décoré de statuettes de divinités animales, vénérées par les Elfes. Après de brèves explications sur les plats proposés – galettes garnies de légumes et salades composées –, elle leur donna deux cartes de menu. 

– Prenez votre temps, messieurs. Je vais vous apporter le cocktail et l’assiette de bienvenue. Un peu de lumière ? Quelques décorations de table ?

Hugues et Gerremi opinèrent poliment.

La serveuse revint, quelques secondes plus tard, avec un chandelier en forme de cœur qu’elle s’empressa d’allumer sous le regard ahuri de ses clients et une boîte remplie de pétales de roses. Elle s’apprêtait à répandre quelques coroles sur la table lorsque Gerremi, mal à l’aise, lui fit signe de stopper.

– Ce ne sera pas nécessaire, Madame, dit-il, merci.

La serveuse leur jeta un regard interrogateur puis retourna vers le comptoir.

Un profond malaise s’empara de Gerremi lorsqu’il nota que les trois jeunes femmes qu’il avait prises pour des amies s’embrassaient à pleine bouche, à tour de rôle, et que l’homme seul avait, finalement, retrouvé sa compagne. Pourquoi n’avait-il pas été plus méfiant lorsqu’il avait poussé cette maudite porte ? Cet endroit était l’antre de l’amour. Hugues et lui n’avaient rien à y faire. Ce dernier, tout aussi mal à l’aise, avait les yeux rivés sur les trois amantes.

– Les Néormiens ont des mœurs étranges, commenta-t-il, trois femmes ensemble… ça ne se voit pas en Hesmon.

Il esquissa une grimace de dégoût.

– On devrait partir, Gerremi, ajouta-t-il, je n’aime pas cet endroit. Avec une fille, oui, mais avec toi…

Il stoppa net au beau milieu de sa phrase. Une lueur de panique s’alluma dans ses grands yeux marron. Lorsque Gerremi jeta un coup d’œil dans la direction que lui indiquait son ami, son cœur manqua de s’arrêter.

M. Jon, quelques tables plus loin, était en pleine discussion avec une très belle femme brune. Le jeune Dragon resta bouche bée lorsque cette dernière se mit à lui caresser la main tout en lui jetant un regard appuyé.

Hugues fit semblant de vomir.

– Quelle horreur… M. Jon avec une femme ? Pauvre fille, elle ne sait pas dans quoi elle s’engage.

Il frissonna de dégoût.

– Il t’a dit qu’il était en couple ?

Tout en se cachant derrière le calepin abritant le menu – il ne voulait absolument pas que son Maître le repère –, Gerremi fit non de la tête. Son Magastel ne lui avait jamais parlé d’un sujet aussi personnel que sa vie sentimentale. D’ailleurs, cette question ne lui était jamais venue à l’esprit. M. Jon et romance n’étaient pas vraiment compatibles à ses yeux.

– Hugues, dis-moi qu’il ne regarde pas par ici, murmura Gerremi, il ne va pas me louper demain. Je n’aurais jamais dû venir dans ce restaurant avec toi…

Mais la posture de son ami lui indiqua le contraire. Hugues avait placé ses mains autour de son visage pour se cacher.

– Il va vraiment falloir qu’on s’en aille, maugréa-t-il, regarde qui vient de rentrer.

Lorsque Gerremi risqua un coup d’œil vers la porte d’entrée, il se tassa sur sa chaise. Fédric, venait de pénétrer dans la salle, main dans la main avec une fille élancée, coiffée d’un chignon complexe. Hugues avait entièrement raison… Entre son Magastel et son grand-frère, les taquineries allaient fuser le lendemain.

– C’est la dernière fois que j’écoute Dame Lore, déplora-t-il.

III-Opération séduction

 

Références (livre papier):

Partie II - Chapitre 9

Page 341, ligne 31

 

Le Seigneur Soëren Sérendelle, époux de la Prophétesse Namiren, vient de rentrer d’un long voyage sur les Terres de Syrial. En l’honneur de son retour, la Reine de Néorme organise un banquet, puis une fête.

 

Après un repas raffiné, Dame Sérendelle conduisit ses invités dans une longue salle décorée d’arcades et de piliers ornés de guirlandes de lierre.

La piste de danse, placée au centre de la pièce, était matérialisée par une estrade et éclairée par une volée de lampions colorés flottant dans les airs. Tout autour, on avait installé des bancs et des tables derrière lesquelles des valets s’affairaient à remplir des coupes de vin.

L’orchestre était placé devant une fontaine, située à l’extrémité de la salle de bal.

Après la cérémonie d’ouverture, menée par le Seigneur Sérendelle et son épouse, les invités furent conviés à boire et à danser.

Tandis que ses compagnons se précipitaient vers la piste de danse, Gerremi se retira sur un banc. Malgré la musique entraînante et le talent des musiciens pour mettre une ambiance endiablée, il ne parvenait pas à se laisser gagner par l’euphorie de la fête.

Il ne cessait de songer à Enendel et aux inquiétudes dont il lui avait fait part pendant le dîner. Son ami était persuadé que le Seigneur Sérendelle le haïssait. Ce qui était absurde, ils ne s’étaient jamais rencontrés. Et puis, si les Sérendelle avaient eu une quelconque animosité envers Enendel, la Prophétesse Namiren ne l’aurait jamais accueilli dans son palais.

– Gerremi ?

Le jeune Dragon sursauta. Hugues venait de surgir de la foule des danseurs.

– Viens danser, ça te fera du bien…

– Je n’en ai pas envie, Hugues, mais ne t’en prive pas pour moi. Tu as trouvé une bonne cavalière, à ce que je vois. Plutôt mignonne.

Il désigna, d’un signe de tête, une jeune fille brune aux formes harmonieuses, que son ami avait rencontrée au cours du banquet.

– Oh ! Mariva… ce n’est pas ce que tu penses. Elle est belle mais un peu bizarre… elle est passionnée par les insectes, les chenilles et les papillons et elle ne parle presque que de ça. Elle est très bien pour quelques danses mais pas plus. Au fait… où est Enendel ? Je ne l’ai vu nulle part.

– Il est retourné dans sa chambre, il ne se sentait pas bien.

Une grimace de peine naquit sur le visage d’Hugues.

– Oui, c’est ce que j’ai cru remarquer pendant le repas. Peut-être qu’une conversation sur les chenilles le fera rire ? risqua-t-il.

L’esquisse d’un sourire fleurit sur le visage de Gerremi.

– C’est gentil à toi et à ta… copine… – Hugues grimaça à l’entente de ce mot – mais je pense qu’il a besoin d’être seul.

– Hugues ? l’appela sa cavalière d’une voix fluette, tu viens danser ? J’aime beaucoup cette musique. Elle parle de papillons.

À peine Hugues s’était-il éloigné que Dame Lore, leur professeur d’étude du troisième signe, s’avança vers Gerremi dans un somptueux déhanché. Elle avait revêtu une robe moulante, au décolleté très plongeant, qui faisait ressortir sa poitrine généreuse et ses hanches bien dessinées. Tous les hommes, mariés ou non, ne cessaient de la lorgner du coin de l’œil.

Gerremi soupira. Dame Lore était la dernière personne avec qui il voulait discuter.

– Que se passe-t-il, Gerremi ? s’enquit-elle tout en se penchant vers lui, vous ne dansez pas ? Vous me semblez bien triste.

Mal à l’aise, le jeune Dragon détourna les yeux du décolleté de son professeur, placé juste à la hauteur de son regard. Il se demanda un instant si Dame Lore avait fait exprès de se positionner ainsi, et si elle avait conscience de son attitude provocante. Mais apparemment, non, elle ne semblait pas du tout s’en inquiéter.

Si Gerremi était à la place de Messire Uléry, son professeur d’Alchimie – qui avait succombé à son charme et réussit l’exploit de la garder auprès de lui pendant six mois – il ne tolèrerait jamais que sa petite amie puisse se comporter ainsi.

Un bref regard lancé à la ronde lui apprit que Naëlund, Solie et Fédric avaient quitté la piste de danse et s’intéressaient de très près à leur conversation. À en juger par la façon dont son grand-frère se tenait les côtés, Gerremi songea qu’il devait faire des efforts incommensurables pour retenir son fou-rire.

– C’est à cause de Rodric ? murmura Dame Lore.

– Pardon ? s’enquit le jeune Dragon.

Elle prit place à côté de Gerremi et rejeta en arrière une longue mèche échappée de sa coiffure complexe.

– Ce n’est pas un secret, Gerremi, je sais bien que Rodric et vous êtes amants. Je n’ai absolument rien contre cela, rassurez-vous. Tous les goûts sont dans la nature… J’ai vu Rodric quitter la salle, il y a quelques minutes, il avait l’air très contrarié. Vous vous êtes disputés, j’imagine ?

Elle poussa un profond soupir et ajouta :

– Ah mon cher Gerremi, vous n’avez pas choisi un homme facile… Il a un sacré caractère mais ce n’est pas une mauvaise personne. Vous ne devriez pas vous en faire, je suis sûre que tout va s’arranger entre vous. Essayez de profiter de cette soirée.

Gerremi la regarda avec des yeux ronds. Combien de verres Dame Lore avait-elle bus pour lui tenir de tels propos ?

– Ma Dame, Rodric est mon Magastel, pas mon amant.

Dame Lore le dévisagea d’un étrange regard.

– Mais… vous êtes un Dragon de premier cycle… vous ne pouvez pas avoir de Magastel…

Elle balaya la marée de danseurs du regard, à la recherche de quelqu’un. Lorsque ses yeux se posèrent sur Messire Uléry, elle se leva d’un bond et courut à toute allure à sa rencontre. Il luttait pour retenir son fou-rire.

– Jestyn ! fulmina-t-elle en lui donnant une tape sur le bras, espèce d’idiot, tu me dois des explications !

– Ils sont sérieux ? ricana Naëlund tout en s’avançant vers Gerremi. Messire Uléry lui a fait croire que M. Jon et toi étiez en couple ?

Solie et Fédric éclatèrent de rire.

– Tu m’avais bien caché cela, Gerrem’, se moqua son grand-frère, je comprends mieux vos longues séances d’entraînement, maintenant.

Gerremi voulut répliquer lorsqu’une voix de stentor lui coupa la parole.

– Ah cette Alwina… Même moi, qui ne suis pas un Dragon, j’ai compris dès le départ que vous êtes Maître et disciple.

Solie, Gerremi, Fédric et Naëlund se retournèrent et se retrouvèrent face à une femme de grande taille au visage carré… le capitaine Kirs. Elle avait troqué son armure habituelle contre une robe informe à laquelle elle ne parvenait visiblement pas à s’accoutumer. Elle ne cessait de tirer dessus pour la réajuster.

– Oh Fédric ! s’exclama-t-elle en lui adressant un large sourire, qui, chez elle, tirait vers le rictus, une petite pinte ? Venez, je vais vous servir.

Elle lui adressa un clin d’œil éloquent. Fédric voulut se dérober mais Gerremi le poussa vers le capitaine, un sourire moqueur accroché aux lèvres.

– Vas-y, elle t’invite.

Druine Kirs passa un bras sous celui de Fédric et le mena jusqu’aux tonneaux de bière installés dans un recoin de la salle. Elle demanda au valet un pichet et l’offrit au Garde d’Élite, tout en ne manquant pas de le dévorer du regard.

Gerremi, Naëlund et Solie, qui avaient décidé à l’unanimité de ne pas les perdre de vue, s’approchèrent discrètement.

– Vous savez, mon cher Fédric, je vous observe depuis des mois durant vos séances d’entraînement. Quelle force, quel talent… j’aimerais me mesurer à vous en vous défiant en duel. Je n’ai jamais perdu un combat. Selon la légende, aucun homme ne peut me battre, je les dompte tous – elle fit un geste éloquent du poignet. Si, un jour, il y en a un qui réussit à me mettre à terre… je me marie avec lui.

Elle partit dans un fou rire tonitruant, qui fit se retourner une bonne partie des danseurs, tout en roulant des épaules.

– Ce serait avec plaisir, Druine. En revanche, si je vous bats… c’est un peu prématuré pour parler de mariage.

– Oh, oubliez ça. Personne ne me bat jamais de toute façon. Finissons cette pinte et allons chez moi. J’ai un superbe terrain d’entraînement. Vous allez l’aimer, Fédric. 

Elle lui adressa un regard éloquent, tout en lui donnant un petit coup de coude complice. Une lueur de peur s’alluma subitement dans les yeux de Fédric.

Gerremi se délectait de la scène. Le capitaine Kirs qui essayait de s’attirer les faveurs de son grand-frère… c’était à mourir de rire. Au moins, il pouvait penser à autre chose qu’aux souffrances d’Enendel.

– Druine, vous êtes une femme très… gentille, mais…, je pense que la soirée ne se prête pas vraiment à de l’entraînement…

Le capitaine Kirs émit un petit rire tout en approchant un peu plus son visage de Fédric.

– Pourquoi pas. Je n’ai bu que cinq pichets, je tiens encore debout. Venez tester mes appuis, vous verrez par vous-même qu’ils sont solides.

Le Garde recula mécaniquement de quelques pas.

– Je suis désolé, Druine, mais je vais devoir vous laisser… Il y a mon frère qui m’appelle là-bas... Il veut me parler… je suis désolé…

Le capitaine Kirs le regarda s’éloigner tout en tapant sur violemment du poing sur le comptoir. Le valet chargé de servir la bière sursauta.

– Espèce d’idiot ! fulmina Fédric en essayant d’attraper son petit-frère – celui-ci se glissa habilement hors de sa portée – pousse-moi encore une fois vers cette folledingue et je te promets que tu ne seras plus en mesure de t’entraîner avec ton amant !

IV-Le lien de la Consécration

 

Références (livre papier): 

Partie II - Chapitre 14

Page 440, ligne 12

 

Les Armées du général Soëren et de la Dame Namiren Sérendelle ont réussi à repousser Morner. Si la victoire est au rendez-vous, les temps sont très durs pour Enendel. Victime de la malédiction du Trophée de Clairvoyance, il n’a eu d’autre choix que de rejoindre son père, le maléfique Roi Soercil, allié à Isiltor. Très grièvement blessé, aux portes de la mort, Gerremi a assisté, impuissant, à la trahison de son meilleur ami.

 

 Lorsque Rodric quitta l’infirmerie de fortune installée dans les cavernes de la Cité de Néorme, une violente migraine lui déchira la tête. Pris de vertiges, il dut s’appuyer contre la paroi du rocher pour ne pas tomber à terre. Il poussa un cri déchirant lorsque la douleur se répandit dans son corps, enflammant chacun de ses membres, comme si un feu ardent le consumait de l’intérieur.

– Rodric, que se passe-t-il ? s’enquit Jestyn.

Le Magastel sentit un bras lui ceinturer la taille lorsque ses jambes se dérobèrent, puis des visages flous se pressèrent autour de lui. Des voix lointaines lui parlaient, mais il ne parvenait pas à en comprendre le sens.

Tandis que ses pensées s’égaraient, une violente lumière jaune l’aveugla, puis une image terrible se forma devant ses yeux. Non loin d’une rivière, le corps d’un homme gisait dans la neige. Une flèche était plantée dans son épaule, une autre dans sa cuisse. Le blessé était entouré d’un mince halo jaune et vacillant, qui manquait de s’éteindre à chaque seconde. Le Dragon hurla lorsqu’il reconnut son disciple.

Lorsqu’il reprit conscience, Rodric était allongé sur un banc de pierre. Tout en ignorant les protestations de Jestyn et d’Alwina, qui lui intimaient de rester couché, il se leva, la respiration haletante.

– Gerremi a des problèmes…, balbutia-t-il, il va mourir… je dois le retrouver.

– Rodric, calme-toi, lui enjoignit Jestyn, de quoi parles-tu ?

Mais le professeur d’étude du compagnon de route l’ignora. Il partit en courant vers les écuries de la ville.

– Que lui arrive-t-il ? s’enquit Alwina, il est devenu fou ?

– Le lien entre un disciple et un Magastel… Rodric a dû sentir que Gerremi est proche de la mort.

Le cœur de Jestyn se serra.

– On doit le suivre ! Viens !

 

Rodric ne mit pas plus de quelques minutes à atteindre la rivière. Plus le temps passait, plus son angoisse et sa sensation de malaise augmentaient, à tel point qu’il en suffoquait presque. La douleur était si importante qu’il faillit chuter de cheval à plusieurs reprises. Où était Gerremi ? Il fallait qu’il le trouve au plus vite… il ne le laisserait pas mourir.

Son cœur fit un bond dans sa poitrine, lorsque, une vingtaine de minutes plus tard, il reconnut le corps de son disciple allongé dans la neige. Il sauta de son cheval et, les jambes tremblantes, s’avança vers le jeune homme.

Son visage, aussi froid que la glace, était d’une pâleur cadavérique. Le professeur trembla de plus belle lorsqu’il constata que le pouls de son disciple était affreusement faible. Il ôta son manteau et le couvrit.

Une horrible sensation de froid commença à se répandre dans son corps comme la vie s’échappait du jeune homme. Le rituel de Consécration qui l’avait lié à Gerremi avait bien fait les choses. Rodric n’avait pas réussi à protéger son disciple et, maintenant, il devait le payer en endurant ses souffrances. Il allait le sentir mourir en lui, petit à petit… Pourquoi n’était-il pas parti à sa recherche plus tôt ? On lui avait assuré que Gerremi était en sécurité dans le village de Lochès. Il aurait dû aller vérifier par lui-même…

– Gerremi, reste avec moi, je t’en prie.

Lorsqu’il porta la main à son sac, son sang se glaça. Il n’avait plus aucune potion de soin et il était parti dans une telle précipitation qu’il avait oublié d’en demander de nouvelles à Jestyn. Rodric jura. Des larmes de rage et de chagrin lui montèrent aux yeux. Son disciple était beaucoup trop faible… il n’aurait pas le temps de l’amener à Néorme. Cette pensée l’acheva.

Jestyn et Alwina arrivèrent quelques instants plus tard. La semi-Elfe poussa un cri étouffé lorsqu’elle vit Gerremi gisant dans les bras de son Magastel.

– Jestyn, l’appela Rodric d’une voix brisée, dis-moi que tu as une potion ou quelque chose, il… ne résistera pas…

Le professeur d’Alchimie retira deux fioles de sa besace, qu’il administra à Gerremi.

– C’est affreux…, balbutia Rodric, à bout de souffle, je sens sa vie qui diminue, comme si c’était la mienne… Jestyn, je ne peux pas le perdre. Je ne me le pardonnerais pas si je le perdais.

Jestyn pressa doucement l’épaule de son ami.

– Ne t’inquiète pas, les potions vont stopper l’hémorragie et l’état de choc, on aura tout juste le temps de l’amener à Néorme. Les médecins le prendront en charge là-bas.

« Il vaut mieux qu’Alwina le prenne sur son cheval, ajouta-t-il, c’est une excellente cavalière et elle connait cette forêt comme sa poche. Elle le conduira à Néorme en une dizaine de minutes.

Rodric acquiesça d’un signe de tête et aida Jestyn à faire monter Gerremi devant Alwina.

– Prends mes potions, ma chérie, glissa le professeur d’Alchimie à la semi-Elfe en lui tendant son sac, utilise les fioles rouges si besoin.

– Tenez-bon, Gerremi, lui murmura-t-elle tout en attrapant la besace, nous allons vous sauver…

Alwina éperonna son cheval dans un cri et partit au galop à travers les arbres.

– Combien de temps de répit lui donneront tes potions ? demanda Rodric en s’affaissant contre un chêne.

Chaque parole prononcée lui déchirait la gorge et lui coupait le souffle.

– Vu son état, une trentaine de minutes, je dirais. Assez pour qu’Alwina l’amène jusqu’à l’infirmerie.

Une main portée sur son cœur douloureux, Rodric pria les Dieux de toutes ses forces pour accorder la vie à son disciple.

Jestyn s’assit à ses côtés et lui passa une cape sur les épaules.

– Gerremi va s’en sortir, Rodric, je te le promets. C’est une chance qu’il maîtrise la télépathie et que vous ayez été Consacrés, tous les deux. C’est uniquement parce que tu es son Magastel qu’il a pu, inconsciemment, t’avertir de son état. Il serait mort, dans le cas contraire.

Rodric ferma les yeux pour chasser la sensation de vertige qui l’assaillait à nouveau.

– S’il s’en sort, j’aurai une dette envers Alwina et toi. 

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